Réformer l’Enseignement, une tâche impossible?

Publié le par Driss ALAOUI MDAGHRI

"Si tu ne sais pas, demande...Mais si tu sais, partage" ------------------------------------------- Réformer l’Enseignement, une tâche impossible? Par Driss ALAOUI MDAGHRI Ancien ministre, Driss ALAOUI MDAGHRI est professeur à l’ISCAE. Il est président de l’Association Marocaine d’Intelligence Economique (AMI). Il préside également le jury du Prix de L’Economiste pour la Recherche en Economie et Gestion. Réformer l’enseignement, une tâche impossible? Répondre par l’affirmative serait socialement et économiquement calamiteux, politiquement suicidaire, humainement cruel et intellectuellement désespérant. Or, c’est bien à une conclusion de ce genre qu’arrive toute évaluation des multiples tentatives de réforme qui ont lieu, ici et là, à intervalles réguliers. Faut-il alors tenter l’impossible ou continuer à faire semblant? La deuxième option n’est plus une option, l’opinion, mieux informée, étant moins portée à accepter cela que par le passé. Reste à tenter l’impossible. Au Maroc, les prémices d’un débat nécessaire émergent à travers articles de presse, rapports d’instances internationales et évaluations propres aux acteurs institutionnels. Ce débat, encore conventionnel pour l’essentiel, oblige à s’interroger sur la pertinence de la dernière réforme et à dessiner, à grands traits, les axes de changements que l’intelligence des faits dicte, l’expérience éclaire et le bon sens recommande. Sur la pertinence de la dernière réforme, au niveau de l’enseignement supérieur, soyons brefs, en attendant que le long terme confirme ce que l’observation immédiate permet de constater : quelques réussites parcellaires pour une perpétuation d’un système d’enseignement globalement inefficace qui, plus grave, produit de la démission et du cynisme à l’échelle individuelle et collective. Au lieu de faire ici un énième diagnostic, forcément répétitif, des maux dont souffre l’enseignement, concentrons plutôt l’analyse sur les lignes de force de ce que pourrait être un système éducatif au niveau du supérieur plus en phase avec les besoins des individus et de la société. Certaines de ces remarques valent, bien entendu, pour tous les niveaux d’enseignement et pour de nombreux systèmes d’enseignement à travers le monde. Selon une récente étude de McKinsey («The Economist» 20 octobre 2007), la plupart de ces systèmes sont inadaptés. Seuls quelques pays tels que Singapour, la Corée du Sud, le Canada, la Finlande, le Japon, ont réussi à mettre en place une éducation de qualité. Trois traits communs caractérisent l’enseignement dans ces pays : on y recrute les meilleurs professeurs, on tire le meilleur de ces professeurs et on intervient à temps et souvent pour corriger les erreurs. Ayant cela en tête, je propose de mettre en œuvre huit axes de changement qui sont modulables en fonction des particularités des disciplines, des besoins et des équipes disponibles. * La flexibilité est le premier de ces axes. Flexibilité à tous les niveaux, aussi bien ceux relatifs aux processus de décision et à l’organisation que ceux relatifs aux programmes et à l’encadrement. Le mal principal dont souffre le système d’enseignement, au Maroc comme ailleurs, est que, sous prétexte de maintenir la cohérence de l’ensemble de ce système, on met en place des règles réductrices et générales qui freinent, puis tarissent complètement toute capacité d’adaptation aux changements considérables qui affectent l’environnement et le savoir dans tous les domaines. La flexibilité est non seulement utile pour cette adaptation permanente nécessaire, mais elle est devenue vitale dans un contexte où, comme l’affirment la plupart de ceux qui se préoccupent de réfléchir sur l’avenir, les questions sont épineuses et les réponses incertaines. Michel Serres dans «Atlas» se demande: «Que savoir? qu’apprendre? qu’enseigner? que faire? comment donc se comporter?» * L’Autonomie est le corollaire incontournable de la flexibilité. Elle est la compagne nécessaire de la responsabilité et il est improductif de continuer à dicter et figer les règles et les conduites à partir des instances centrales. L’autonomie des établissements d’enseignement est une condition sine qua non de l’efficacité et de la pertinence des enseignements qu’ils dispensent. Concrètement, et pour bien expliciter ma pensée en la matière, il s’agit bien de laisser toute latitude aux dits établissements de chercher des ressources, humaines et matérielles, et de les utiliser en toute liberté. Les lois et règlements en vigueur relatifs à la transparence et à la bonne gestion des ressources doivent suffire pour éviter les dérapages en matière de gestion. * La décentralisation la plus poussée des établissements d’enseignement devrait être la règle à tous les niveaux, celui de la région, notamment, aussi bien pour ce qui est des programmes que de l’affectation et de la gestion des ressources. C’est un anachronisme dangereux que de continuer à gérer le système éducatif national à partir de Rabat quand les besoins et les réalités se déclinent de façon parfaitement différente au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest du pays. La question délicate est de déterminer à qui transférer ces fonctions au vu des réalités locales. Réponse : vers qui le mérite, de façon variable en fonction des capacités d’action et d’intégrité démontrée. L’objectif de cette décentralisation n’est pas le simple transfert des attributions des instances centrales vers des instances régionales, transfert nécessaire au demeurant, mais de donner des pouvoirs réels permettant au système éducatif, désormais à géométrie variable, de développer une réelle capacité d’innovation sans laquelle il ne fait que fonctionner en boucle avec comme seule fin sa propre reproduction. * La participation des acteurs est un ingrédient incontournable pour le succès possible du modèle. Au premier chef, il s’agit des parents dont certains ont depuis longtemps démissionné de leur rôle, et pour beaucoup parce qu’ils ne pouvaient pas jouer ce rôle en raison de leur propre niveau éducatif. La question est de savoir comment arriver à les mobiliser efficacement et durablement au service d’un enseignement de qualité. Les dirigeants des établissements d’enseignement ont là un rôle de premier plan à jouer. Quant aux autorités nationales et locales responsables, elles doivent remplir leur mission d’accompagnement avec efficacité et constance en intervenant à propos et non de façon à brider l’initiative. * La qualité du leadership est, sans conteste, la clé de voute de l’efficacité d’un tel modèle, comme le montrent clairement les exemples de réussite dans le cadre du système actuel malgré toutes ses failles. Qualité du leadership non seulement à l’échelle nationale pour le pilotage d’ensemble, mais fondamentalement à l’échelle locale et à celle, tout à fait vitale, des établissements d’enseignement. Il faut en finir une fois pour toutes avec le mythe de la compétence exclusive des enseignants professionnels en tant que corps incontournable pour la gestion des établissements d’enseignement. Ce qu’il faut, ce sont des décideurs confirmés, qu’ils viennent de l’enseignement ou d’ailleurs. Ce qu’il faut, ce sont des décideurs triés sur le volet payés à des salaires compétitifs et qui prennent des risques. Ce qu’il faut, ce sont des décideurs responsables qui rendent des comptes. Ce qu’il faut, ce sont des décideurs susceptibles de mobiliser efficacement des réseaux multiples en faveur de leurs établissements en termes de ressources humaines et matérielles parce qu’ils sont d’emblée au cœur de relations sociales multiples publiques et privées. Ce qu’il faut, ce sont des leaders qui ont de véritables capacités d’innovation, meneurs d’hommes, pilotes du changement. On est là, bien sûr, aux antipodes du politiquement correct traditionnel en la matière. * La capacité d’innovation, autre axe important, devra être développée par tous les moyens. Elle repose sur la volonté de multiplier les essais et d’accepter les erreurs tout en mettant en place des mécanismes de correction rapides favorisant l’éclosion d’expériences originales et vivifiantes ainsi que la diffusion des meilleures pratiques. * Le corps enseignant, requinqué, réhabilité, revalorisé, devra être d’une autre trempe, d’une autre composition, dans cette nouvelle donne d’un enseignement supérieur radicalement réformé. Disons - le, tout de suite, il y a des enseignants remarquables dans notre système tel qu’il est, encore faut-il qu’ils exercent un effet d’entraînement sur l’ensemble de ce système. A cet effet, il faut qu’ils soient au cœur de viviers d’enseignants en formation qui les assistent et apprennent le métier à leur côté. Il faut aussi que les rencontres pédagogiques soient multipliées, localement et à l’étranger, pour favoriser les échanges fécondants et l’acquisition et la diffusion des meilleures pratiques. Il faut, parallèlement, ouvrir le recrutement plus largement que ce que les sacro - saintes règles universitaires ont réussi à imposer, sous couvert de qualité, en réalité, principalement pour des raisons corporatistes. Bien des formations sont parfaitement transmises hors établissements d’enseignement dans des entreprises ou par des artisans qui n’ont rien à envier aux meilleures formations universitaires. Il suffit d’en prendre acte et d’utiliser les compétences qui les portent. Enfin, bannir l’emploi à vie serait un impératif normal que contrebalanceraient des salaires conséquents. C’est à ce prix que l’on peut encourager la recherche et stimuler les pédagogies dynamiques. * Les programmes dans le contenu et dans les méthodes sont les outils de modernisation et d’adaptation aux besoins réels de la société de la fonction d’éducation et de son efficace. Les savoirs évoluent à grande vitesse, presque au jour le jour. Ce qu’on enseigne aujourd’hui peut être obsolète demain, appelant nécessairement à une adaptation permanente des disciplines. Il en est de même des marchés et des métiers, donc des besoins et des profils recherchés. L’interdisciplinarité est, dans ce contexte, tout à fait indispensable en raison de l’interpénétration des savoirs actuels, notamment des savoirs scientifiques et techniques, et des perspectives fascinantes qu’ils ouvrent par leur fécondation mutuelle. Il suffit de penser aux technologies de l’information, aux biotechnologies et aux nanotechnologies pour prendre la mesure de la révolution en cours. Quant à la langue d’enseignement, disons-le une fois pour toutes : l’arabe, le français ou l’espagnol, et une dose de plus en plus grande d’anglais au fur et à mesure de la progression dans le système d’enseignement, devraient être de rigueur. Je sais ces propositions radicales et que d’aucuns les jugeront peu réalistes, mais je sais aussi que l’avenir est lourd de menaces et que le système éducatif actuel, à bout de souffle, conduit à l’impasse et fait le lit de bien des dérives. Source : Journal l'économiste, Publié le 27/02/2008.
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