On ne se déclare jamais « désobéisseur » à la légère dans l’Éducation nationale.

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On ne se déclare jamais « désobéisseur » à la légère dans l’Éducation nationale. Et Alain Refalo, pas plus qu’un autre. Car le professeur est inscrit dans une institution dont la cohérence est essentielle pour l’avenir de la Nation. Il sait aussi que, si l’obéissance aveugle avilit les hommes, aucune société ne peut tenir sans s’imposer et imposer des règles qui régissent son fonctionnement. Il sait, enfin, en tant que pédagogue, que le chaos menace toujours un groupe quand aucune loi ne vient rappeler les humains à l’ordre du collectif… Se déclarer « désobéisseur » est donc un acte grave et, si Alain Refalo l’a fait, c’est parce qu’il était convaincu que les instructions qui lui étaient données allaient à l’encontre de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Il faut, à ce sujet, rappeler, en cette année du vingtième anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, convention ratifiée par la France, que le Conseil d’État a accepté, en 1997, le principe de l’invocabilité de l’intérêt supérieur de l’enfant en cas de litige avec l’administration. Or, c’est bien cette invocabilité qui a été et est refusée à Alain Refalo. Ce dernier a, en effet, expliqué, à maintes reprises en quoi les dispositions qu’il était contraint d’appliquer étaient en contradiction, à ses yeux, avec les données de la chronobiologie, comme avec les principes pédagogiques énoncés dans de très nombreux textes qui restent toujours en vigueur, telle la Loi d’orientation sur l’Éducation du 14 juillet 1989. En réalité, les instances du ministère de l’Éducation nationale n’ont jamais, en ce qui concerne les programmes de 2002, la suppression des cours du samedi matin et la mise en place de l’aide personnalisée, accepté d’engager un véritable débat de fond. Les décisions ont été prises et appliquées de manière brutale, sur des critères peu explicites, en invoquant essentiellement l’opinion publique, mais sans jamais proposer à cette dernière des scénarios alternatifs, ni ouvrir une véritable réflexion pédagogique. De même, jamais, à ma connaissance, l’administration de l’Éducation nationale n’a accepté d’engager un véritable dialogue avec Alain Refalo sur ces questions : les rappels à l’ordre dont il a fait l’objet ont toujours été purement administratifs, rappelant simplement l’impératif d’une application mécanique des textes, et cela en contradiction, d’ailleurs, avec de nombreuses recommandations qui, au sein de l’Éducation nationale, invitent les cadres à engager les acteurs dans une réflexion et des projets collectifs. Or, face à cela, Alain Refalo a toujours argumenté et travaillé avec un grand souci de rigueur pédagogique… à laquelle on n’a fait qu’opposer une fin de non-recevoir. Après avoir été sanctionné par des retraits de salaire, Alain Refalo a encore fait des propositions constructives sur l’utilisation de l’aide personnalisée dans l’intérêt des élèves. Ses propositions auraient pu, auraient dû être entendues. Elles ne l’ont pas été. Ses propositions auraient pu, auraient dû être discutées. Elles ne l’ont pas été. Même si l’on juge le comportement d’Alain Refalo excessif et maladroit, que dire de celui d’une administration qui se montre aussi figée sur des modalités et incapable d’articuler celles-ci avec les finalités ? Que dire d’une Éducation nationale qui, au lieu de chercher en quoi elle peut permettre à chacun de ses membres d’apporter une contribution à l’œuvre commune préfère contrôler leur servilité ? Car, au fond, l’attitude d’Alain Refalo est bien celle d’un citoyen solidaire des ambitions de l’École de la République et qui veut prendre lucidement sa responsabilité dans la réussite de tous les élèves. Il faut ajouter que, si se déclarer « désobéisseur » est un acte grave, c’est aussi un acte courageux et qui a le mérite d’interpeller une institution qui préfère souvent la désobéissance passive à l’implication dans une réflexion critique. On ne compte plus les réformes qui ont été dévoyées silencieusement, et dans l’indifférence générale, par une partie des enseignants. J’ai moi-même commencé ma carrière au moment de la réforme Haby qui imposait, au collège, une répartition hebdomadaire des élèves, dans les trois disciplines jugées essentielles, en « soutien » et « approfondissement ». J’ai soutenu cette réforme. En moins d’une année, les heures dévolues au soutien et à l’approfondissement ont été récupérées pour des cours classiques en classes complètes, avec la complicité de beaucoup de cadres. Et il en a été de même dans de nombreux cas : les cycles, imposés par la loi d’orientation de 1989 ont été abandonnés sans bruit ; le soutien individualisé en seconde n’est plus guère utilisé comme tel ; les heures de vie de classe ou d’ECJS sont, très souvent, employés à d’autres fins… et tout cela sans que personne ne s’en inquiète. Mieux encore : quand des professeurs, et même de associations de professeurs ayant pignon sur rue et table ouverte au ministère, ont appelé au boycott des Travaux personnels encadrés, on n’a vu nulle part apparaître de conseils de disciplines pour refus d’obéissance et incitation à la désobéissance collective. Faut-il donc comprendre qu’un enseignant ne doit être sanctionné que quand il ose nommer ce qu’il fait ? Faut-il donc comprendre qu’on peut désobéir dans la clandestinité ? Ou quand on bénéficie de complicités haut placées ? Qu’on se souvienne, enfin, de ceux et celles qui ont invité clairement à désobéir aux programmes de 2002 en publiant des pamphlets au vitriol : alors que ces programmes étaient encore en vigueur, on leur a attribué des décharges pour expérimenter et diffuser leurs idées ! Alain Refalo n’en demande pas tant ! L’Éducation nationale peut décider de sanctionner les « désobéisseurs » : cela signifiera qu’elle a renoncé à les convaincre, ce qui n’est guère glorieux dans une démocratie. Elle peut sanctionner les « désobéisseurs » en croyant renforcer son autorité sur les maîtres : elle ne contribuera qu’à figer encore plus le système et à décourager toute dynamique pédagogique. Elle peut sanctionner les « désobéisseurs » pour l’exemple : elle encouragera, alors, les détournements clandestins des textes, programmes et réformes… Mais elle peut aussi s’honorer en faisant la part des choses entre des propos parfois excessifs, d’un côté, et des réflexions et des propositions qui méritent d’être respectés et évalués, de l’autre. Alain Refalo a déjà largement payé pour les premiers, on attend qu’il soit reconnu pour les secondes.

Philippe Meirieu Professeurs des universités en sciences de l’éducation Université LUMIERE-Lyon 2

Le mardi 7 juillet 2009
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