'L’école me tient à cœur'

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Jack Lang : 'L’école me tient à cœur'

Ancien ministre socialiste de l'Education1, Jack Lang vient de publier « L'école abandonnée »2. Dans cette lettre ouverte à son successeur, Xavier Darcos, il dénonce une entreprise de « destruction organisée » de l'enseignement public.

 

Pourquoi une telle attaque en règle ?

L'école est abandonnée à trois niveaux : le temps de travail, les programmes et les moyens. La suppression du samedi matin, par exemple, est un non-sens pédagogique. Au total, les enfants vont perdre plus de deux semaines de cours par an. Cette mesure arrange sans doute certaines familles. Au moins fallait-il, dès lors, la compenser en organisant des cours le mercredi matin. Quant aux heures de soutien, je n'y crois pas. D'abord parce que c'est à l'intérieur d'une classe que les difficultés se traitent le plus efficacement. Par ailleurs, personne ne sait où les caser. Entre midi et deux heures, les enfants sont fatigués. Après l'école, ils souhaitent rentrer chez eux. Et l'on s'aperçoit déjà que ces deux heures risquent de s'enliser dans le sable. Pour aider les élèves, il ne fallait pas alléger les horaires, mais les effectifs des classes pour permettre aux maîtres d'effectuer un travail sur mesure.

Officiellement, le taux d'encadrement des élèves n'est pourtant pas en baisse. Il serait même meilleur...

C'est une contre-vérité. Le dernier gouvernement Chirac avait supprimé 80.000 postes ou emplois, auxquels s'ajoutent environ 20.000 postes de professeurs ou d'assistants depuis un an et demi. Il s'agit d'une programmation pluriannuelle de destruction d'emplois. Les statistiques sont trompeuses, puisqu'elles s'appuient sur des moyennes artificiellement basses. Elles incluent, par exemple, les enseignements assurés devant 10 élèves en latin ou en grec, quand ces matières subsistent, ou dans certaines langues vivantes.

Vous dénoncez aussi l'abandon des maîtres.

Une des grandes fautes, parmi d'autres, du nouveau programme, c'est d'avoir fait quasiment disparaître toute instruction concrète pour l'enseignement de la lecture et de l'écriture. C'est inimaginable ! Comment, en CP et en CE1, la République peut-elle ne donner aucun conseil pratique aux maîtres ? La seule recommandation est de se reporter à un bon manuel ! A cela s'ajoute le projet révoltant de quasi-disparition de la formation professionnelle. L'enseignement va donc devenir une des rares professions auxquelles on accèdera sans la moindre préparation pratique. Je suis moi-même professeur d'université. Mais si l'on me demandait d'apprendre à lire et à écrire à un enfant, j'en serais rigoureusement incapable !

Vous portiez pourtant un regard plutôt bienveillant sur Xavier Darcos, quand il a pris ses fonctions...

Xavier Darcos est un homme intelligent, fin et cultivé. Mais toutes ces qualités constituent autant de circonstances aggravantes. Comment peut-on, alors que l'on a été soi-même enseignant, entreprendre une telle action de déstabilisation de l'école ? Après y avoir bien réfléchi, je pense qu'il agit en bon soldat, pour maquiller le désengagement de l'Etat et affaiblir les services publics, au profit du marché. Car, finalement, même si le ministre prétend le contraire, les écoles privées et les organismes privés de soutien scolaire s'en trouveront indirectement renforcés.

N'entre-t-il pas dans votre réquisitoire une part d'amertume personnelle ?

Aucune amertume. Simplement de la colère. L'école me tient à cœur. Je suis triste pour les enfants que l'on traite l'école de la République avec ce cynisme. Si Xavier Darcos le voulait, il pourrait rectifier le tir et apporter des améliorations. Je serais alors le premier à l'en féliciter. Même si je sais très bien qu'il est toujours plus rapide et plus facile de détruire que de reconstruire.

Propos recueillis par Patrick Lallemant

(1) du 03/04/1992 au 29/03/1993 et du 27/03/2000 au 05/05/2002

(2) « L'école abandonnée », Ed. Calmann-Lévy, 130 pages, 8€ 

 

 

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